Hyperconnexion et solitude du lien

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L’hyperconnexion a changé notre façon d’aimer, d’attendre, de désirer et de nous sentir exister.

Le smartphone donne l’illusion d’un lien permanent, d’une disponibilité immuable, mais cette continuité apparente fragilise quelque chose de fondamental : notre capacité à tolérer l’absence, à symboliser, à habiter notre monde intérieur.

Dans cet article, je vous propose de comprendre comment le virtuel modifie nos liens et pourquoi il peut conduire à ce paradoxe : être constamment connecté… mais profondément seul.

📣 Points clés :

  • Le smartphone fragilise la tolérance à l’absence et la capacité à accueillir la discontinuité.

  • La société moderne devient liquide (Bauman) : liens changeants, identités instables.

  • Winnicott nous éclaire : la capacité à être seul se construit en présence de l’autre.

  • L’hyperconnexion peut mener à une solitude du lien (Janssen).

  • Notre monde interne s’appauvrit quand il est systématiquement externalisé dans les écrans.

1. Le paradoxe de l’hyperconnexion

L’hyperconnexion n’a jamais autant multiplié les possibilités de relation. Nous pouvons parler à n’importe qui, n’importe quand, sans frontières ni distances.

Mais cette disponibilité permanente produit un effet inattendu : elle altère la manière dont nous vivons l’absence.

Une illusion de continuité

Le smartphone est devenu un objet qui accompagne chaque instant de notre vie.
Il nous permet de “rester en lien”, et même de monitorer la présence de l’autre : notifications, “vu”, derniers messages, et autres indicateurs de présence.

Cette continuité artificielle ne remplace pas la continuité psychique. Elle peut même empêcher l’intériorisation de la relation et rendre chaque silence potentiellement angoissant.

Le virtuel comme surface de projection

Quand il n’y a pas de place pour le réel et que les relations restent dans le virtuel, nous pouvons avoir tendance à idéaliser l’autre via nos projections. 
L’autre relève alors plus d’une construction imaginaire que d’une présence réelle, car non encore éprouvée.

Cet article est un résumé de l’épisode 45 du Podcast Hack Your Soul.

La société liquide : des liens fragiles et instables

Zygmunt Bauman décrit notre société comme une modernité liquide, où tout devient flexible, réversible et incertain.
Les structures solides, (famille, institutions, communautés), se désagrègent, laissant l’individu naviguer entre des choix permanents et des liens précaires.

Des repères instables

Dans une société liquide :

  • les relations s’établissent vite,

  • se défont vite,

  • et ne s’ancrent plus durablement.

Le virtuel renforce cette fluidité en simplifiant l’entrée en relation… et la déconnexion du lien.

Proximité virtuelle : un lien disponible mais sans corps

La proximité virtuelle permet d’être en contact permanent avec quelqu’un qui vit loin, parfois très loin.
Messages, appels, notifications : tout semble proche, immédiat, fusionnel.

Distance virtuelle : présent… mais absent

La distance virtuelle, c’est l’inverse : être physiquement là, mais psychiquement ailleurs.

Le smartphone morcelle la présence : on est là, mais occupé ailleurs, absorbé par un flux continu de sollicitations numériques.

Une présence fragmentée

Cette distance virtuelle créé un paradoxe :
on multiplie les liens, mais on n’est pleinement disponible pour personne.

Le lien réel en souffre, car il devient intermittent, troué, instable.
On peut être très connecté… et pourtant très seul.

Winnicott : apprendre à être seul en présence de l’autre

Pour le pédiatre et psychanalyste Donald Winnicott, une étape essentielle de la maturité affective est la capacité à être seul… en présence de quelqu’un.

Pourquoi est-ce essentiel ?

Parce que cette capacité permet :

  • de tolérer l’absence,

  • d’accueillir la discontinuité,

  • de garder l’autre en soi même lorsqu’il n’est pas disponible.

C’est la base du sentiment de sécurité interne.

Une compétence fragilisée par le smartphone

Le smartphone impose une illusion de continuité permanente : l’autre semble toujours “là”, toujours joignable, toujours disponible.

Cela perturbe l’intériorisation du processus de séparation et fragilise la construction de cette capacité à être seul.
Chaque silence devient une effraction, un danger, une angoisse.

Ce que la virtualisation change dans notre psychisme

La virtualisation ne modifie pas seulement nos comportements : elle transforme aussi des processus psychiques essentiels comme la tolérance à l’absence, la continuité interne et la capacité à symboliser.

L’absolue continuité du lien fragilise la tolérance à l’absence

Le smartphone instaure une continuité du lien sans absence, où l’autre semble toujours disponible.
Mais cette continuité est illusoire.
L’entrelacement entre réel et imaginaire ne peut pas se faire, il ne reste donc que la projection de nos propres pensées ou fantasmes sur la personne.

Cette illusion explique que certains silences numériques déclenchent : anxiété, sentiment de rejet, peur d’abandon, ou même une perte momentanée du sentiment d’existence.

Une régression vers l’indifférenciation primaire

Quand le lien apparaît continu, immédiat et sans faille, la psyché peut glisser vers un mode archaïque : celui où l’autre est vécu comme une extension de soi, comme s’il devait répondre instantanément.

Le smartphone soutient ce fantasme d’omnipotence (“si j’écris, tu réponds”), d’où un effondrement émotionnel possible lorsque l’autre “disparaît” par son silence et son absence de réponse.

De la solitude dans le lien… à la solitude du lien

Dans une relation réelle, on peut se retirer en soi de manière saine : deux personnes présentes, chacune avec son monde intérieur, dans un mouvement d’alternance entre proximité et retrait.

Mais la virtualisation produit, selon Christophe Janssen, une solitude du lien : on est en contact apparent permanent… Mais avec une altérité parcellaire voire quasi inexistante.

Conclusion : liens virtuels, effets réels et solitude du lien

Le virtuel offre une continuité du lien qui paraît confortable, mais il peut aussi venir fragiliser quelque chose d’essentiel : notre capacité à supporter l’absence, à faire travailler notre imaginaire, à différencier la réalité du fantasme, à habiter notre monde interne.

Votre monde intérieur, personne ne pourra le cultiver à votre place !

Il est comme la rose du Petit Prince : fragile, précieux, exigeant.
Il a besoin d’être protégé, apprivoisé.
Il a besoin de son paravent et de toute l’attention du Petit Prince, car ses quatre épines ne suffiront pas à affronter ce que la vie lui prépare.
Et dans cette histoire, le Petit Prince… c’est vous.

Habiter votre intérieur, c’est ce qui vous permettra de créer des liens solides, vivants, et profondément humains, dans un monde qui, lui, ne cesse de se virtualiser.

 

📚 Sources :

Christophe Janssen, Transition numérique : la solitude du lien
Winnicott, D. W. (1965). La capacité d’être seul.
Winnicott, D. W. (1971). Jeu et réalité.
Winnicott, D. W. (1960). De la pédiatrie à la psychanalyse.
Bauman, Zygmunt, La vie liquide.

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