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ToggleLes films et séries nous présentent souvent le deuil comme un chemin balisé, avec ses étapes bien définies.
« Tu es dans la phase de déni, c’est normal ».
« La colère fait partie du processus ».
« L’acceptation viendra avec le temps ».
Ces phrases, devenues des lieux communs, sont-elles vraiment le reflet de la réalité ?
C’est ce à quoi je vous propose de réfléchir dans l’épisode 30 du podcast dont cet article offre un bref aperçu.
Claire, un deuil brutal aux multiples visages
Claire, 42 ans, a perdu son demi-frère Thomas dans un accident de moto. Trois ans après, elle oscille encore entre différentes émotions : tristesse, colère, culpabilité et même des moments de joie en se remémorant des souvenirs heureux.
Elle raconte :
« On m’avait dit que l’acceptation viendrait avec le temps. Mais qu’est-ce que cela veut dire, accepter ? Certains jours, je me sens en paix, et le soir même, je suis submergée par le manque. Est-ce que c’est ça, faire son deuil ? »
Son témoignage met en lumière une réalité souvent ignorée : le deuil n’est pas linéaire. Il se vit différemment selon chaque individu.
Trois ans après la perte de Thomas, son quotidien ressemble aux montagnes russes émotionnelles, mais elle accepte plus facilement de les traverser.
La théorie des 5 étapes du deuil : genèse et limites
Elisabeth Kübler-Ross a développé son modèle en observant des patients en phase terminale. Plus tard, cette théorie a été appliquée aux proches endeuillés.
Les 5 étapes expliquées
La théorie de Kübler-Ross propose cinq étapes distinctes :
1. Le déni : c’est un mécanisme de protection psychologique. Il permet d’absorber progressivement la nouvelle et agit comme un amortisseur émotionnel.
2. La colère : elle peut être dirigée vers soi-même, le défunt, ou l’extérieur. Elle sert de soupape à la douleur intense ressentie.
3. Le marchandage : c’est une tentative de négocier avec la réalité. Elle révèle notre besoin de contrôle face à l’impuissance.
4. La dépression : période de retrait et de profonde tristesse.
5. L‘acceptation : c’est l’intégration de la perte dans sa nouvelle réalité. Le lien avec le défunt se transforme peu à peu et l’endeuillé retrouve une paix relative.
Pourquoi ce modèle a-t-il eu autant de succès ?
Il offre une grille de lecture simple et rassurante du deuil.
Il permet de normaliser certaines émotions souvent mal comprises.
Il donne un sentiment de progression et d’évolution dans la douleur.
Cependant, de nombreuses recherches récentes remettent en question son universalité.
Les critiques du modèle
Un processus non linéaire : les émotions ne suivent pas un ordre précis, elles fluctuent et peuvent revenir par vagues.
Une expérience subjective : chaque deuil est unique et dépend du contexte, de la relation avec le défunt et de la culture.
Un modèle trop généraliste : il ne prend pas en compte les différents types de deuil (brutal, anticipé, traumatique, etc.).
Une approche plus nuancée du deuil
George A. Bonanno, psychologue et chercheur, propose une autre perspective.
Ses études scientifiques montrent que la trajectoire du deuil varie selon les individus et que la résilience est une réponse courante face à la perte.
Il identifie plusieurs trajectoires de deuil :
Le deuil résilient : la douleur est forte mais la personne retrouve rapidement un équilibre.
Le deuil chronique : une souffrance prolongée, avec des difficultés à s’adapter.
Le deuil absent ou retardé : les réactions apparaissent tardivement, voire pas du tout.
- La dépression, où la perte déclenche ou exacerbe des symptômes dépressifs.
Bien-sûr, d’autres facteurs comme la culture jouent également un rôle clé. Dans certaines traditions, le deuil est perçu comme un lien continu avec le défunt, tandis que dans d’autres, comme en occident, la société attend un « retour à la normale » rapide.
Conclusion : une vision plus humaine du deuil
Le modèle des 5 étapes de Kübler-Ross a le mérite d’avoir ouvert la discussion sur un sujet difficile, mais il ne doit pas devenir une norme rigide. Ce modèle n’a pas été vérifié scientifiquement. Il est une somme de recueil de témoignages.
Chaque individu vit son deuil à sa manière, avec ses propres repères et émotions.
Si vous traversez un deuil, souvenez-vous qu’il n’y a pas de « bonne » ou de « mauvaise » manière de le vivre. L’essentiel est de respecter votre rythme et de vous entourer afin d’être soutenu.
📚 Sources :
Les derniers instants de la vie – Elisabeth Kübler-Ross (1969)
Les recherches de George A. Bonanno : Resilience to loss and chronic grief: a prospective study from preloss to 18-months postloss; George A Bonanno 1, Camille B Wortman, Darrin R Lehman, Roger G Tweed, Michelle Haring, John Sonnega, Deborah Carr, Randolph M Nesse (2002)
Le dossier scientifique du centre national de ressources et résilience sur le trouble de deuil prolongé (2023)
L’épisode 21 du podcast : Comment parler de la mort aux enfants ? Approches psychologiques, est un bon complément à cet épisode, notamment sur le thème des influences culturelles dans notre perception de la mort.