Intelligences multiples : que dit la science ?

quelles sont les intelligences multiples

La théorie des intelligences multiples (IM), proposée par Howard Gardner en 1983 dans son ouvrage « Frames of Mind », remet en question l’idée traditionnelle d’une intelligence unique.

Gardner propose que chaque individu possède plusieurs formes distinctes d’intelligences, chacune répondant à des critères spécifiques.

📚 Source : un article publié en 2012 intitulé « Que dit la science à propos des intelligences multiples ? » de Serge Larivée et Carole Sénéchal

Critères de définition des intelligences

Les théories sur l'intelligence

Hormis celle de Gardner, il y a bien-sûr eu d’autres théories sur l’intelligence :

  • L’approche factorielle de Guilford (1967) et Thurstone (1947),
  • L’approche unidimensionnelle avec le facteur g de Spearman (1904),
  • L’approche hiérarchique de Cattell (1971), Vernon (1971), puis Carroll en 1993, qui reste l’une des plus reconnues aujourd’hui.

Critères de Gardner pour les intelligences

Gardner définit une intelligence comme une compétence répondant à huit critères principaux :

1. Possibilité d’être isolée à l’occasion de lésions cérébrales spécifiques.
2. Présence de génies ou prodiges dans le domaine.
3. Possibilités de distinguer des opérations (un noyau opératoire) ou des mécanismes spécifiques.
4. Histoire développementale spécifique.
5. Possibilité de suivre l’évolution de ladite forme d’intelligence au cours de l’évolution de l’espèce humaine.
6. Appui des recherches expérimentales.
7. Appui des recherches psychométriques.
8. Expression dans des systèmes symboliques spécifiques.

Les types d'intelligences identifiés par Gardner

Initialement, Gardner propose sept types d’intelligences, augmentés ensuite à neuf :

théorie des intelligences multiples

Une dixième intelligence, l’intelligence spirituelle est un cas particulier de l’intelligence existentielle, et ne rencontrerait pas les huit critères (comme d’autres d’ailleurs ! Mais nous y reviendrons plus loin).

Principales critiques de la théorie des intelligences multiples

Définition circulaire des intelligences

Gardner utilise un raisonnement tautologique pour définir les intelligences, ce qui rend sa théorie difficile à tester empiriquement.

Exemple de l’intelligence kinesthésique : elle décrit une facilité et une habileté à utiliser son corps. Or, un individu utilise bien son corps du fait qu’il possède une bonne intelligence kinesthésique.

Problème de prolifération des intelligences

Les critères choisis par Gardner semblent arbitraires. Il ne les a d’ailleurs jamais justifiés.

La théorie pourrait mener à une multiplication excessive des intelligences.

Après examen approfondi, on se rend compte que certaines des intelligences décrites ne répondent pas à ces 8 critères.

Exemple : 3 critères sont remplis pour l’intelligence personnelle, et 6 pour l’intelligence musicale (Kail et Pelligrino 1985, White 2006)

Différencier intelligence et talent

Il est difficile de distinguer entre intelligence et talent. Les concepts peuvent se chevaucher et Gardner n’a pas démontré en quoi sa théorie explique mieux les faits que d’autres approches.

Biais culturel et politique

La théorie pourrait refléter un biais culturel en valorisant certaines compétences comme des intelligences. De plus, Gardner ignore les variations interethniques et de genre (qui sont bien-sûr une piste glissante si exploitées à des fins politiques).

La théorie des intelligences multiples a été élaborée pour s’opposer aux conceptions classiques , trop centrées sur les aspects verbaux, logiques et mathématiques.

Cependant, accorder la même place à toutes les intelligences ne correspond pas aux observations que l’on peut faire dans la réalité.

Les intelligences verbale et logico-mathématique (explorées par les tests de QI) soutiennent pratiquement toutes les autres formes d’intelligence.

D’ailleurs, Gardner reconnaît lui-même le statut privilégié de celles-ci.

Indépendance supposée des intelligences

Gardner affirme d’une part que les intelligences sont relativement autonomes mais concède d’autre part que l’exercice d’une seule intelligence ne saurait suffire. Cela est plus qu’ambigu !

Au vu des connaissances en neurosciences actuelles, d’un point de vue neuroanatomique, il est totalement faux d’associer une structure cérébrale spécifique à un type d’intelligence. Je détaille un peu plus cet aspect dans l’épisode 19 du podcast.

Ignorance des acquis scientifiques

Certaines justifications de Gardner, comme le fait que marcher sur des braises serait la preuve d’une intelligence kinesthésique sont douteuses. Cela est explicable par la physique… Nul besoin de recourir à une intelligence particulière.

Par ailleurs, les neurosciences ont fait la preuve, notamment via l’IRM que l’activation cérébrale dépend d’une tâche et non d’un trait de personnalité ou d’un type d’intelligence.

Démarche spéculative vs scientifique

La théorie manque de preuves empiriques solides et refuse souvent la vérification scientifique de ses hypothèses, ce qui va à l’encontre d’une démarche scientifique rigoureuse.

Gardner ne propose lui-même aucune piste pour vérifier sa théorie. Les propositions extérieures ont été rejetées, Gardner arguant du fait de ne pas se reconnaître dans cette interprétation de sa théorie.

Attention le dogmatisme n’est pas loin !

Pour autant, en 97, Gardner en conviendra : « la notion d’intelligences multiples n’est pas encore une donnée scientifique prouvée. »

Problème de la mesurabilité

Dans la logique de ce que nous venons de dire, il est également difficile de mesurer de manière fiable et valide les différentes intelligences proposées, notamment via l’élaboration d’outils standardisés.

Gardner critique les mesures objectives les trouvant artificielles et préfère s’appuyer sur des observations répétées et sur le long terme en milieu naturel (donc peu reproductibles en laboratoire).

Mais ces études à grande échelle manquent cruellement.

Redondance avec d'autres théories

Les intelligences multiples peuvent chevaucher ou redonder avec d’autres théories existantes, comme celles de Horn, et n’apportent au final que peu de nouveautés.

Applicabilité de la théorie de Gardner

Applications en milieu scolaire

L’idée serait de développer des programmes ou des outils remettant plus d’équité dans le domaine de l’intelligence. Le projet est louable, permettrait des innovations et peut-être même de trouver des alternatives en cas d’impasse.

Mais en l’état actuel des connaissances sur ce sujet, par où commencer ? Car les recommandations de Gardner en terme d’applications pratiques sont floues.

Et comme nous l’avons vu, on ne peut se passer des intelligences logico-mathématique et linguistique pour en développer d’autres. 

Par ailleurs, après avoir élaboré le dit projet éducatif, comment en mesurer les effets s’il n’y a pas d’outils fiables ?

Des initiatives ont été menées : projet Spectre, Intelligences pratiques pour l’école, méthode Arts Propel, projet Atlas… 

Mais il est difficile de valider l’impact de ces initiatives pour toutes les raisons évoquées.

Applications en psychologie et psychiatrie

Là encore, vu le manque de rigueur de la théorie, il semble difficile d’en tirer une application directe.

Le fait de recourir à des tests de QI en pratique clinique ne nous empêche (heureusement !) pas d’aborder l’enfant ou l’adulte dans sa globalité.

Y a-t-il besoin de la théorie des intelligences multiples pour avoir une approche humaniste dans la relation soigné – soignant ? Non plus.

Cependant, cette théorie permet d’ouvrir l’esprit sur la question des talents. Et recourir à ces concepts pour travailler l’image de soi, la confiance en soi peut-être vraiment intéressante !

Être un bon communiquant ne donne pas le statut de scientifique

La théorie de Gardner a rencontré un franc succès. Son livre est captivant, accessible et apporte des réponses d’un point de vue holistique et humaniste.
Elle est aussi une tentative de solution pour valoriser d’autres compétences que les basiques compétences linguistiques par exemple.

Gardner s’efforce de donner ses lettres de noblesse à l’intelligence sous toutes ses formes, et même si sa proposition est séduisante, être un communiquant hors pair ne donne pas pour autant automatiquement à sa théorie un statut scientifique.

Conclusion : les intelligences multiples ne sont pas validées scientifiquement

Alors que faire d’une telle théorie ?

La théorie des intelligences multiples de Gardner, bien que captivante et accessible, manque de fondements scientifiques solides et ne fait pas consensus au sein de la communauté scientifique.

Le risque dans un tel cas est d’un côté de tout jeter à la poubelle, et de l’autre de s’enfermer dans un dogmatisme défensif.

Elle doit être considérée pour ce qu’elle est, à savoir une théorie à ce jour spéculative, encore non vérifiée, et ce même par des preuves empiriques.

Elle offre une réflexion intéressante sur la diversité des compétences humaines. Son approche holistique et humaniste vient pointer en creux les manquements de certains de nos outils scientifiques actuels.

Les applications pratiques sont encore peu convaincantes.

Mais nous pouvons adosser notre réflexion à celle de Gardner, afin de penser des approches globales, et pourquoi pas développer des outils visant à déceler et valoriser des talents spécifiques.

Et comme rien n’est jamais figé, souhaitons que de prochaines découvertes fassent avancer cette réflexion !

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