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ToggleLa consommation du cannabis se banalise au risque d’en oublier les effets, tout particulièrement à l’adolescence.
Dans cet article, je vous propose :
- de faire le point sur ce qu’on sait de la consommation de cannabis à l’adolescence
- d’analyser une étude de 2024 menée par les services de santé publique canadiens.
Le sujet de cette étude ? Explorer précisément le lien entre cannabis, âge et entrée dans une psychose chronique.
Cet article est un résumé de l’épisode 18 du Podcast Hack Your Soul :
Définition des troubles psychotiques
Avant de rentrer dans le vif du sujet, voici quelques définitions pour définir précisément de quoi on parle.
D’abord, une définition simple de la psychose. C’est quand il y a incapacité à distinguer ce qui vient de l’expérience interne de l’esprit, de la réalité extérieure de l’environnement. Si je le dis simplement, la frontière entre réalité et imaginaire devient poreuse, et on n’arrive plus à faire la part des choses entre les deux.
Dans la grande catégorie des psychoses, il y différentes maladies dont la schizophrénie. Et c’est de cette pathologie que parle notre article.
La schizophrénie, c’est une maladie caractérisée par une perte de contact avec la réalité, des idées délirantes et des hallucinations, un émoussement affectif (ça veut dire qu’on a l’impression que la gamme des émotions qui traversent la personne est réduite). Il y a aussi une désorganisation de la parole, et dans certains cas une perte de motivation, des difficultés à réfléchir… Tous ces symptômes ont bien-sûr des conséquences tant au niveau relationnel que professionnel.
On sait que les personnes atteintes de troubles psychotiques seront plus exposées à :
- des périodes de chômages,
- des pensées suicidaires,
- la précarisation (notamment devenir SDF)
D’autres part, c’est une population dont l’espérance de vie moyenne est réduite de 10 à 20 ans comparée à la population générale.
Vous voyez donc l’importance de bien diagnostiquer ces troubles et d’avoir un système de soin solide afin de suivre ces personnes !
Une énième étude sur le cannabis ?
Pourquoi refaire une étude sur le cannabis ?
Tout simplement car le monde du cannabis a évolué.
La teneur en THC (tétrahydrocannabinol), c’est à dire le principal composé psychoactif présent dans la plante de cannabis a beaucoup augmenté.
Au Canada, la teneur en THC dans l’herbe de cannabis illicite est passée de moins de 1 % avant 1980 à 6 % à la fin des années 1990, à 15 % en 2016 et 20 % en 2018 !
D’autre part, de nouveaux produits à base de cannabis sont apparus sur le marché, dont les extraits de cannabis qui peuvent atteindre jusqu’à 95% de THC.
Rappel sur la législation concernant le cannabis
En France, à l’heure où j’écris cet article (mai 2024), la consommation du cannabis est illégale et est un délit. La peine peut aller jusqu’à un an de prison et 3750 euros d’amende.
Depuis 2019, si vous êtes interpellé en train de consommer, ou en possession de petites quantités, une amende forfaitaire de 200 euros s’applique.
Ce qui est autorisé en France, c’est la vente et la consommation de CBD (cannabidiol) ayant une teneur maximale de 0,3% de THC… Et bien-sûr toute vente aux mineurs est interdite.
Au Canada, la légalisation du cannabis à des fins récréatives a eu lieu en 2018. Elle est bien-sûr strictement réglementée, et la vente aux mineurs est interdite. L’étude que nous analysons aujourd’hui a suivi les jeunes avant cette légalisation.
Quelles sont nos connaissances sur les risques du cannabis ?
Adolescence et cannabis : une période d'importante vulnérabilité
Le cerveau humain est un organe en permanente maturation au cours de l’enfance et de l’adolescence.
À l’adolescence, le cerveau continue sa croissance et se réorganise aboutissant en particulier à un niveau plus élevé de compréhension de soi et du monde.
Cette maturation concerne aussi tout le système endo-cannabinoide ( donc les récepteurs de THC), et ce remodelage influence plus globalement le développement cérébral.
Les conséquences d’une sur-stimulation du système endo-cannabinoïde via une consommation de cannabis par exemple, et surtout dans les phases précoces de développement sont multiples. Cela va altérer le développement normal de tout un tas de neurostransmetteurs (endorphines, glutamate, du GABA, des systèmes monoaminergiques sérotoninnergiques et catécholaminergiques).
D’autre part, le cannabis impacte aussi le développement de la substance blanche et l’élagage synaptique. L’élagage synatpique ou raffinement synaptique, est un processus qui dure jusqu’à 25 ans environ. Les connexions synaptiques les moins utilisées disparaissent, au profit des connexions les plus utilisées, notamment celles impliquées dans l’apprentissage.
Autrement dit, la consommation va impacter le développement des jambes des neurones (la substance blanche), le bout des neurones (les synapses), et les messagers entre les neurones (neurotransmetteurs).
En clair, sur-stimuler de manière chronique et régulière le système endocanabinoïde à l’adolescence pourrait modifier la taille et la structure interne de plusieurs régions du cerveau.
Risques de développer une psychose aiguë ou chronique
Des études de 2004, 2020 et 2022 ont déja montré que l’intoxication par le cannabis peut contribuer à des épisodes psychotiques transitoires aigus.
Ce qui veut signifie que la personne vit un épisode de délire, souvent avec des hallucinations, mais cet épisode régresse de lui-même.
On sait aussi que plus tôt on prend du cannabis, plus il y a de risque de développer une schizophrénie adulte.
Par ailleurs, la consommation de cannabis est associée à un âge plus précoce d’apparition de la psychose.
Notons également qu’en dehors de toute psychose, le cannabis augmente l’anxiété et diminue la sensibilité affective. Il favoriserait l’émergence de troubles dépressifs.
Le cannabis impacte-t-il les émotions ?
Oui, il y a des effets sur les émotions pendant et après la consommation.
Prenons l’exemple de l’amygdale, porteuse de nombreux récepteurs du système endo-canabinoïde. Fumer tous les jours beaucoup de joints à l’adolescence va sur-stimuler les récepteurs sur l’amygdale, ce qui donne les conséquences suivantes :

Les récepteurs de THC sont aussi présents dans le cortex préfrontal et l’hippocampe.

Les régions préfrontales sont impliquées dans les fonctions exécutives. C’est là où se jouent la prise de décision, le contrôle des impulsions. Les fonctions exécutives regroupent notamment l’attention, la mémoire de travail, la planification, la résolution de problème, le raisonnement abstrait, le contrôle de l’inhibition.
L’hippocampe, est une structure essentielle pour l’apprentissage et la mémoire.
La consommation de cannabis a donc un impact tant du point de vue émotionnel que cognitif.
Y a-t-il une addiction au cannabis ?
Oui.
Diverses études chez l’homme et chez les animaux démontrent ce phénomène. Les symptômes de sevrage apparaissent durant les premières semaines suivant l’arrêt. Les symptômes de sevrage les plus fréquents rapportés par les adolescents sont : la colère ou l’agressivité, l’irritabilité, la nervosité et anxiété, la diminution de l’appétit ou du poids l’agitation, et des difficultés de sommeil, y compris des rêves étranges.
Il est aussi acquis que plus on commence à consommer du cannabis jeune, plus le facteur de risque de dépendance est élevé.
Bien-sûr, la quantité consommée est un facteur de risque additionnel au risque de dépendance.
Mais il n’y a pas besoin d’être entré dans la dépendance pour que le cannabis affecte le développement cérébral et son fonctionnement. Les adolescents, comparativement aux adultes, sont plus touchés par des difficultés cognitives et d’apprentissage, et ces difficultés persistent après l’arrêt du produit. Elles restent observables jusqu’à 28 jours après arrêt du produit.
Comment mesure-t-on l'impact du cannabis sur des adolescents ?
Revenons à notre étude. Elle a été réalisée par des institutions publiques canadiennes. Donc les données sont solides !
Les jeunes impliqués avaient entre 12 à 24 ans. Idéal pour savoir si le cannabis impacte plutôt les adolescents ou des jeunes adultes.
Les auteurs n’ont pas inclus les jeunes ayant déjà eu des troubles psychotiques dans les 6 ans précédent l’enquête. Cela est logique vu que l’étude se propose de voir s’il y a une relation solide entre cannabis / âge / entrée dans schizophrénie.

On a donc posé les mêmes questions à tous les jeunes en entretien présentiel ou au téléphone.
Les jeunes ont ensuite été suivis pendant 6 à 9 ans.
Pourquoi est-il important d’avoir quelques années de recul dans le suivi ?
Tout simplement car les recherches parlent d’un délai moyen de 7 à 8 ans entre l’initiation de la consommation de cannabis et l’apparition des symptômes psychotiques. Ensuite, il se passe 1 à 2 ans entre l’apparition des symptômes et la recherche d’un traitement.
Comme pour toute étude, celle-ci a ses limites.
Par exemple, le taux de THC n’a pas été mesuré, le mode de consommation et le type de produit ne sont pas précisés. L’étude est déclarative : c’est à l’adolescent de dire ce qu’il a consommé. On peut donc imaginer que certains auront caché, ou sous-déclaré leur consommation, ce d’autant plus que la consommation est illégale pour les mineurs, et je rappelle que pour les + de 18 ans, l’étude s’est tenue avant la légalisation.
Et puis bien-sûr, pour des raisons éthiques évidentes, ça n’est pas une étude randomisée. ( Vous savez randomisé ça veut dire qu’on assigne un participant de manière aléatoire à un groupe).
Consommer du cannabis à l'adolescence c'est très risqué
Décortiquons maintenant les résultats de l’étude.

23,4 % des participants déclaraient avoir pris du cannabis au cours de l’année passée.

1,2% ont eu recours à des consultations pour troubles psychotiques.
Si on s’intéresse maintenant juste aux jeunes qui ont été hospitalisés ou qui ont consulté un médecin pour un trouble psychotique à l’adolescence :

77,8 % avaient pris du cannabis au cours de l’année précédente et 82,3% si on ne restreint pas à l’année précédente mais à la vie entière.
C’est énorme comparé à nos 23,4 % de tout à l’heure !
Bien-sûr il y a aussi une question de dose : le risque est accru pour une consommation de cannabis à partir d’une fois par semaine ou plus.
Regardez maintenant ces courbes :


Avant 20 ans, la courbe de l’incidence des troubles psychotiques chez les consommateurs de cannabis monte en flèche par rapport à celle de ceux qui ne consomment pas, et à partir de 20 ans, les 2 courbes sont pratiquement superposables et ont une évolution similaire.
En clair, fumer du cannabis avant 20 ans est plus risqué qu’après 20 ans. Et pas qu’un peu !

Le risque de développer un trouble psychotique pour les ados consommateurs de cannabis est 11 fois plus important comparé aux ados non consommateurs !
Cette étude comparée aux précédentes, retrouve un risque plus élevé de développer une schizophrénie pour les ados fumeurs de cannabis. Pourquoi ? L’hypothèse des auteurs est l’augmentation de la concentration en THC des produits.
Vu les résultats, on pourrait aussi se demander pourquoi tous les adolescents qui fument ne développent pas une schizophrénie.
On a l’habitude en psychiatrie de parler de terrain et de vulnérabilité.
Il y a pour la schizophrénie, comme pour les TOC (troubles obsessionnels compulsifs) ou les troubles bipolaires une hérédité multigénique. Mais cette hérédité n’est pas encore complètement comprise, et les facteurs environnementaux y joueraient un grand rôle.
D’autres vulnérabilités exposant au développement de la schizophrénie sont reconnues : les traumas vécus dans l’enfance, certains facteurs neuro-développementaux.
Est-ce que le cannabis favorise la schizophrénie ou l'inverse ?
Jusqu’à maintenant, on a vu qu’il y avait plus de probabilités, sur un terrain vulnérable, et notamment à l’adolescence d’entrer dans une maladie psychotique type schizophrénie si on consommait du cannabis.
Mais, on entend parfois l’hypothèse inverse : les symptômes psychotiques ou précédent l’entrée dans la psychose mèneraient à la consommation de cannabis. Un peu comme une sorte d’automédication. Cette hypothèse est appelée causalité inverse.
Bon et bien là non plus la réponse n’est pas encore claire !
Comme souvent dans la recherche, la causalité est difficile à déterminer. Le fameux : qui de la poule ou de l’œuf ?
Mais ce qui est sûr c’est que cannabis à l’adolescence et schizophrénie sont liés.
Certains auteurs penchent pour une causalité bidirectionnelle. Ce ne serait pas un facteur qui entraînerait l’autre. Mais les deux interagiraient et se renforceraient. C’est ce que des études génétiques semblent suggérer, mais c’est encore très difficile à démontrer, donc prudence sur cette hypothèse, il faut attendre de futures études.
Conclusion : pas de cannabis avant 20 ans
Le message fort de cette étude, c’est que consommer du cannabis avant 20 ans, est associé à un fort risque d’entrée dans la schizophrénie. Je rappelle le chiffre: le risque est 11 fois plus élevé que pour des adolescents non consommateurs.
Deux conclusions s’imposent :
1- oui le cannabis à l’adolescence est risqué et pas qu’ un peu. Actuellement, nous n’avons aucun moyen de repérer une vulnérabilité à coup sûr. Donc la prévention et l’éducation doivent être globales, dirigées vers tous les adolescents, les parents, les écoles, et bien-sûr tous les acteurs du système de soin.
2- au vu de ces chiffres, la légalisation du cannabis pose question, surtout pour la période de vulnérabilité 18-20 ans. Cela nécessiterait plusieurs gardes fous, en terme de système judiciaire (criminaliser les réseaux illégaux), politiques de santé publiques solides (prévention et éducation) et des services de santé fonctionnels prêts à accueillir les jeunes.
Il est clair qu’actuellement le dernier point n’est pas rempli et serait le préalable à toute discussion sur la légalisation de ce produit !
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