La prescription de nature émerge comme une solution novatrice dans le domaine des soins de santé durables, visant à promouvoir la santé mentale, physique et sociale. Cette approche gagne en popularité en tant que complément aux traitements conventionnels, offrant ainsi de nouvelles perspectives pour la prévention de certains problèmes de santé publique.
Quels sont les effets de la nature sur la santé ? Et peut-on en tirer certaines conclusions pour améliorer notre quotidien ?
Sommaire
ToggleLa nature, bonne pour la santé ?
Vous avez sûrement déjà entendu que le contact avec la nature réduit le stress et l’anxiété. Ou peut-être l’avez-vous expérimenté vous-même suite à une balade en forêt.
Il est effectivement couramment admis que Les environnements naturels offrent un cadre propice à la détente, à la régénération mentale et à la stimulation cognitive, le tout contribuant ainsi au bien-être psychologique des individus.
Dans les années 80, les japonais ont même développé le concept de shirin yoku ou bain de forêt.
Je voulais donc en savoir un peu plus sur la réalité scientifique de tout ça.
📚 Je vous propose de décrypter une étude parue en 2023 dans le Lancet Planetary Health.
Peut-on vraiment mesurer les effets de la nature sur la santé ?
Oui ! Justement cette méta-analyse récente se propose de synthétiser :
- les preuves de l’efficacité des prescriptions de nature
- d’en déterminer les facteurs de succès.
La nature sur ordonnance : méthodologie
Cette étude est une méta-analyse. Une méta-analyse est une méthode scientifique structurée et solide. Son but est de rassembler, synthétiser et comparer statistiquement les résultats de plusieurs études entre elles.
Ici, 92 études analysées. Toutes ont été publiées entre 1999 et 2021.
2 évaluateurs indépendants ont passé au crible cette sélection pour y inclure seulement celles qui respectaient des critères rigoureux. Par exemple les études qui n’utilisaient pas de groupe contrôle n’ont pas été retenues.
Comme pour toute étude, il y a des biais.
La principale difficulté ici est qu’on ne peut pas réaliser de double aveugle. Un double aveugle, c’est quand les participants ignorent s’ils sont dans le groupe contrôle ou non. Si vous avez été sélectionné pour aller faire du jardinage en extérieur, vous vous rendrez vite compte que vous faites du jardinage en extérieur et pas en laboratoire comme le groupe contrôle. Vous voyez l’idée ?
Le 2ème biais important que je citerai ici, est que les études sélectionnées sont toutes en anglais. Or, même si l’anglais est la langue principale de la littérature scientifique, ce mouvement de prescription de nature s’est beaucoup développé en Asie du Sud-Est et au Japon. Donc certaines études en japonais ou coréen par exemple, ont pu échapper à la sagacité de nos évaluateurs.
De futures études seront donc nécessaires pour approfondir ces résultats.
Où et à qui a-t-on prescrit ces immersions dans la nature ?
Les études proviennent principalement d’Asie et du monde anglo-saxon.
Elles concernent surtout des adultes.


Elles ont mesuré les effets bénéfiques des programmes de prescription de nature sur des maladies psychologiques ou somatiques.

Les environnements de nature proposés allaient du petit jardin urbain (de particulier ou non) à la forêt ou à la plage.

Comment a-ton fait ces ordonnances de nature ?
Les prescriptions étaient principalement faites par un professionnel de santé ou un travailleur social, inscrits dans des institution (hôpitaux, maisons de retraite, centres de santé, centres de réadaptation, centres d’aide pour les familles à faible revenu…).
Notons que les travailleurs sociaux connaissaient les personnes à qui ils prescrivaient ce traitement de nature avant la prescription. (On en reparle dans notre dernière partie sur l’importance de l’humain dans ce dispositif !)
La prescription en elle-même consistait à demander au participant de passer une quantité fixe de temps dans la nature.
Les activités réalisées pendant ce temps en nature allaient du jardinage, à la méditation en passant par la marche, des exercices de respiration ou la lecture.

Résultats des études sur les effets thérapeutiques de la nature
Les bains de nature ont des effets sur la santé physique
42 % des études font état de bénéfices sur la santé physique.
Ces bénéfices ont été évalués par des analyses de sang (taux de cortisol, cytokines…) ou des mesures de la tension artérielle.
La durée des suivis allaient de 2 semaines à 1 an à partir du début de l’étude. On pouvait ainsi voir les effets de court et long terme de ces immersions en nature.

Une réduction significative de la tension artérielle (surtout systolique).

Une augmentation du nombre de pas quotidiens.

Une réduction des risques de maladies cardiométaboliques

Une augmentation du bon déroulement des grossesses

Une réduction des risques de maladies neurodégénératives chez les personnes âgées.
En revanche, il n’y avait pas de bénéfices sur le temps d’activité physique hebdomadaire. De la même façon chez les enfants, le fait de faire plus d’activités basées sur la nature n’entrainait pas forcément plus d’activité physique pendant les récréations.
La prescription de nature améliore la santé mentale
Les états dépressifs, l’anxiété et le stress étaient mesurés par des échelles spécifiques (notamment Beck, State-Trait Anxiety Scale, échelle de stress perçu).
Deux tiers des études (67%) ont rapporté des bénéfices sur les résultats psychologiques ou cognitifs :

Effets modérés sur les scores de dépression directement après l’intervention. En revanche pas ou peu d’effet à moyen terme : les participants notaient bien une amélioration de leurs symptômes par rapport à leur état initial. Mais comparée au groupe contrôle, cette amélioration n’était pas significative.

Effets modérés à importants sur les scores d’anxiété, avec un effet plus marqué directement après l’intervention.

Lorsque les études impliquaient des professionnels (de santé ou sociaux), les effets des prescription de nature étaient plus importants.
Par ailleurs, 25 % des études ont fait état d’une amélioration du comportement global, principalement via le temps passé à l’extérieur, le temps consacré à des activités physiques modérées ou vigoureuses et le temps consacré à des activités de loisirs.
Quels sont les facteurs de succès de ces prescriptions de nature ?
En clair, il s’agit de connaître les facteurs qui ont amené à une prescription de nature réussie. Dit autrement: quels sont les facteurs qui ont favorisé une augmentation du temps d’immersion dans la nature. Ils ont été appréciés au travers du filtre de la théorie d’Albert Bandura.
Albert Bandura est un psychologue appartenant à la mouvance cognitiviste, qui a élaboré une théorie socio-cognitive de l’apprentissage social qui repose sur les 3 facteurs que nous allons aborder ci-dessous.
Facteurs comportementaux
Toutes les études présentaient ce type de facteurs. Il s’agissait de choisir des activités facilement réalisables par les participants, de leur fournir les outils nécessaires ou une formation préalable.
Facteurs environnementaux
84% des études mettaient en avant ces facteurs. Il s’agissait d’organiser des activités en groupe, de choisir des sites naturels facilement accessibles ou d’aider à les rendre accessibles.
Facteurs cognitifs
Ils n’apparaissent que dans un tiers des études. Il s’agissait de l’éducation des participants aux avantages de l’exposition à la nature et de la fixation d’objectifs pour motiver les participants.
Défis et opportunités de la nature sur ordonnance
Accès aux espaces verts et inégalités socio-économiques
Responsabiliser les personnes notamment par le biais de la prévention et de l’éducation est primordial. Mais tout ne peut reposer que sur la seule initiative personnelle. Surtout lorsqu’il s’agit de faire passer à l’action des personnes ayant des maladies physiques ou psychologiques.
L’accès aux espaces verts reste inégalement réparti, ce qui soulève des questions d’équité en matière de santé pour ce type de prescriptions.
Pour surmonter ces obstacles, il faudrait donc penser un nouveau modèle social car un individu seul ne peut pas repenser l’espace public.
Autre question : est-ce qu’un effet en cascade type comportement pro-environnemental pourrait découler de ces prescriptions ? Une hypothèse qui serait intéressante à tester au vu des problématiques climatiques et environnementales que nous traversons actuellement.
Le rôle prépondérant de l'humain
Toutes les études démontrent que lorsqu’un professionnel est impliqué dans l’amorçage et le suivi de la prescription de nature, les effets bénéfiques sont plus importants.
Cela n’est guère étonnant : ce qui soigne dans un cheminement thérapeutique c’est la qualité de la relation établie. D’autre part le processus d’engagement devant un tiers amène plus facilement le sujet à réaliser l’objectif.
Ce sujet mériterait toute l’attention des ARS (Agence Régionales de Santé) et de la HAS (Haute Autorité de Santé) qui ont souvent tendance, ces derniers temps, à réfléchir leurs protocoles de soins à « moyens constants » (notamment humains).
Spoiler alert : ça ne marche pas !
À l’heure de l’intelligence artificielle et des cabines de consultations automatiques, nous pouvons déjà affirmer qu’une chose sera difficilement remplaçable : la place de la relation humaine dans le soin et dans le soutien entre pairs.
Confirmation de l'efficacité des médiations thérapeutiques tournées vers la nature
Depuis des décénnies, nous utilisons en psychiatrie et pédopsychiatrie des soins médiatisés de groupe. Je pense notamment aux groupes de jardinage, d’horticulture, de marche en forêt etc…
Nous avons donc des preuves étayées par la science que ces médiations ont impacts positif sur les patients.
Et pour ce qui est des applications pratiques au quotidien, cette méta-analyse ne peut que nous engager à prévoir des respirations régulières en nature !
Conclusion : intégrer la prescription de nature dans les pratiques conventionnelles ?
Ces programmes de prescription en milieux naturels présentent un intérêt notable : ils sont peu coûteux et faciles à mettre en œuvre.
La diversité des activités proposées peut s’adapter à l’état de santé des participants.
D’autre part, s’appuyer sur de vraies personnes pour déployer de tels programmes et en augmenter leur efficacité est incontournable !
Est-ce qu’à l’instar du Japon, notre ministère de la santé soutiendrait à l’avenir une telle démarche ?
En tout cas, les acteurs de terrains peuvent d’ores et déjà se baser sur ces résultats encourageants pour continuer à penser des médiations thérapeutiques en milieu naturel, ou simplement prescrire à leurs patients la réalisation d’immersions en nature.
Et vous, êtes-vous convaincu ? Allez-vous mettre en place des bains de nature réguliers ?