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ToggleEn juillet 2025, un médecin généraliste nantais est condamné à deux ans de prison avec sursis, assortis d’une interdiction d’exercer pendant cinq ans.
Motif : 541 prescriptions illégales de prégabaline. Un chiffre qui interroge, mais qui dépasse le simple cadre de la fraude médicale.
Car il révèle en filigrane une réalité bien plus vaste : le détournement massif du Lyrica, ce médicament prescrit pour les douleurs neuropathiques, devenu pour certains un outil de survie.
📣 Points clés :
- Le Lyrica (prégabaline), prescrit initialement pour l’épilepsie et les douleurs neuropathiques, fait l’objet d’un usage détourné important en France.
Un médecin nantais a été condamné en juillet 2025 pour 541 prescriptions illégales, révélant une dérive bien plus large.
Deux profils d’usagers émergent : patients sous opioïdes d’Europe de l’Est et jeunes migrants en grande précarité.
La prégabaline est recherchée pour ses effets anxiolytiques, analgésiques et euphorisants, et circule au prix de 1 à 3 euros la gélule.
Elle est aujourd’hui l’un des médicaments les plus fréquemment détournés de leur usage thérapeutique en France.
À ce jour, aucune recommandation nationale n’encadre le sevrage de cette molécule ; l’accompagnement reste empirique, porté par des soignants souvent isolés.
De la prescription médicale au détournement : comprendre le glissement du Lyrica
Mise sur le marché en 2004, la prégabaline (commercialisée sous le nom de Lyrica) est d’abord indiquée dans l’épilepsie et les douleurs neuropathiques. Elle est ensuite autorisée dans le traitement du trouble anxieux généralisé. Mais très vite, ses effets anxiolytiques, analgésiques et euphorisants attirent l’attention au-delà des cabinets médicaux.
En 2021, l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) restreint sa prescription : ordonnance sécurisée, durée limitée, surveillance accrue.
Trop tard ?
Car sur le terrain, les médecins généralistes et services d’addictologie constatent déjà une hausse alarmante de son usage hors cadre.
Lyrica au marché noir : une gélule à un euro, un usage à haut risque
Vendu entre 1 et 3 euros la gélule, le Lyrica circule massivement hors des pharmacies.
Souvent associé à d’autres psychotropes, il est utilisé pour potentialiser les effets d’opioïdes ou atténuer les symptômes de sevrage.
Les rapports d’addictovigilance montrent une nette accélération de ce mésusage depuis 2018. En tête des médicaments concernés par les ordonnances falsifiées, la prégabaline devient, comme le Rohypnol (années 90) ou le Rivotril (années 2000) avant elle, une drogue de rue.
Qui consomme ? Deux profils, une même précarité
Les recherches identifient deux groupes principaux d’usagers :
👉 Des patients d’Europe de l’Est, notamment géorgiens, sous traitements de substitution, qui utilisent la prégabaline pour potentialiser leurs traitements.
👉 Des jeunes migrants nord-africains, dont mineurs non accompagnés, souvent à la rue, exposés à des conditions de vie éprouvantes.
Un point commun : une extrême vulnérabilité sociale et psychique.
Ces populations trouvent dans la prégabaline un effet d’apaisement. Un soulagement chimique, à défaut d’une prise en charge structurée.
Et les soignants ? En première ligne, parfois seuls
Le médecin nantais condamné a déclaré avoir prescrit pour « éviter un sevrage brutal ». Certains patients étaient menaçants, d’autres en détresse aiguë. Il reconnaît aussi n’avoir pas su formuler l’appel à l’aide nécessaire.
Ce cas soulève une question plus large : peut-on réellement lutter contre le mésusage d’une molécule sans outils adaptés, sans lignes directrices, sans cadre de soins soutenu politiquement ? Aujourd’hui, en France, aucune recommandation nationale n’encadre le sevrage de la prégabaline. Les services d’addictologie soignent de manière empirique, avec rigueur et engagement. Mais les soignants de terrain, souvent isolés, avancent sans filet.
Et au-delà du soin, se pose une autre réalité : soigner n’est pas possible sans pouvoir accueillir. Tant que les structures d’hébergement sont saturées, tant que l’on manque de traducteurs, de médiateurs, de places en addictologie, tant qu’une partie de la population est maintenue dans des zones d’errance sociale, la réponse médicale reste incomplète. Il ne s’agit pas simplement d’un dysfonctionnement du système de santé, mais d’un défaut global de politique d’accueil, qu’il s’agisse des jeunes migrants ou des publics précaires français. Et c’est bien là que se joue, en creux, la frontière entre usage et mésusage.
Un symptôme plus qu’un scandale
Le cas de la prégabaline est à lire comme un symptôme d’un système plus large : une santé mentale délaissée, une prise en charge des jeunes migrants saturée, une dépendance croissante aux solutions chimiques face à la souffrance psychique. Le Lyrica n’est pas qu’un médicament : il est devenu, pour certains, un abri temporaire contre l’insupportable du quotidien.
Alors que les budgets sont en berne et que les structures d’accueil sont à bout, combien de soignants devront encore être seuls face à la détresse ?