Burnout des soignants : crise de sens dans les métiers de l’humain

Épuisement professionnel

J’observe ce paradoxe depuis quelques temps : d’un côté, des soignants épuisés, au bord du burn out. De l’autre, des personnes en quête de reconversion professionnelle, souvent issues du monde de l’entreprise, qui idéalisent ces métiers du soin et de l’accompagnement.

Cette tension m’interpelle profondément, car elle raconte en creux la crise systémique que traversent aujourd’hui les métiers de l’humain.

📣 Points clés :

La crise des métiers du soin révèle un paradoxe entre soignants épuisés et reconversions idéalisées dans ce secteur.

 

  • 55 % des soignants montreraient des signes d’épuisement professionnel caractérisé
  • Les professionnels souffrent d’un conflit de valeurs entre vocation et logique comptable
  • Notre société entretient un rapport ambigu à la vulnérabilité, sacrifiée sur l’autel de la performance
  • La création d’interstices de liberté pour conserver l’humanité de l’accompagnement est nécessaire

L'épuisement structurel des soignants face aux pressions systémiques

Les chiffres alarmants des différentes enquêtes sur l’épuisement professionnel des soignants ne sont pas seulement le reflet d’individualités fragilisées, mais bien le symptôme d’un système en souffrance.

Dans ma pratique quotidienne, je rencontre des professionnels de santé et de l’accompagnement qui me confient  leur impression de ne plus soigner mais simplement réparer.

La logique comptable a progressivement grignoté l’essence même du soin : la relation, le temps de l’écoute, l’accompagnement singulier.

Les hôpitaux sont devenus des entreprises où l’on optimise des flux, où chaque minute, chaque lit, chaque acte doit être rentabilisé.

Cette mutation profonde crée un conflit de valeurs dévastateur pour les soignants. Des personnes ayant choisi ce métier par vocation, par désir d’accompagner l’autre dans sa vulnérabilité, se retrouvent piégées dans un système qui leur impose d’agir à l’encontre de leur éthique professionnelle. C’est ce décalage qui nourrit une souffrance psychique intense.

L’épuisement des soignants n’est donc pas qu’une question de surcharge de travail. C’est avant tout une crise de sens. Comme me le confiait récemment une infirmière en pédiatrie : « C’est vrai le rythme est difficile. Mais ce n’est pas ça qui m’épuise le plus… C’est l’impossibilité de bien faire mon travail. » Cette phrase résume parfaitement le drame silencieux qui se joue aujourd’hui dans nos institutions de soin.

Cet article est un résumé de l’épisode 34 du Podcast Hack Your Soul.

Quand la vulnérabilité devient un tabou social

Notre société contemporaine entretient un rapport profondément ambigu à la vulnérabilité. D’un côté, nous la rejetons, obsédés par les idéaux de performance, d’optimisation et de maîtrise. De l’autre, nous assistons à une certaine fascination pour les récits de résilience, souvent esthétisés et déconnectés de la réalité brute de la souffrance.

Une société en tension avec la vulnérabilité

Cette ambivalence se traduit par plusieurs phénomènes, que tout un chacun peut observer quotidiennement :

      👉 La médicalisation systématique de toute forme de souffrance psychique

      👉 Le refus collectif d’accepter les limites et la finitude humaine

      👉 La standardisation des protocoles de soin au détriment d’une approche singulière et holistique

      👉 L’illusion que toute difficulté peut et doit être rapidement « réparée »

Les soignants, témoins silencieux d’un tabou collectif

Dans ce contexte, les professionnels du soin se retrouvent dans une position intenable. Ils doivent incarner ce paradoxe : être les témoins quotidiens de la vulnérabilité humaine dans une société qui refuse de la regarder en face. Ce positionnement crée une charge émotionnelle considérable, rarement reconnue et encore moins accompagnée.

Cette négation collective de la vulnérabilité a des conséquences directes sur les soignants. À force d’être les porteurs solitaires de cette réalité rejetée, ils s’épuisent. Comme l’expliquait si justement Gilles Lipovetsky dans son analyse de L’ère du vide, notre société narcissique et individualiste peine à faire une place à l’altérité souffrante. Or, c’est précisément cette altérité que les soignants rencontrent chaque jour.

Le paradoxe de l’idéalisation des métiers du soin

Dans mes activités de coaching, je reçois de plus en plus de personnes en quête de reconversion professionnelle. Leur projet? Quitter le monde impitoyable de l’entreprise pour « enfin faire quelque chose d’utile », souvent dans les métiers du soin ou de l’accompagnement. Cette aspiration témoigne d’une quête de sens authentique, mais elle repose souvent sur une vision idéalisée de ces professions.

Ces futurs reconvertis imaginent l’accompagnement comme un espace préservé des logiques marchandes, un territoire où la relation humaine aurait encore sa place. Ils projettent sur ces métiers leurs aspirations à un travail qui fait sens, qui reconnecte à l’humain et au réel. Cette projection, version instagrammable de l’accompagnement, méconnaît une partie de la réalité actuelle de ces professions !

Réinventer les espaces de soin: leçons du passé, pistes pour l'avenir

Face à cette crise profonde, je reste convaincue que des alternatives existent… Mais en dehors des recommandations des ARS 😉 !

La crise comme levier de transformation

L’histoire nous montre que les périodes de crise peuvent être fécondes. Rappelons-nous que c’est dans le contexte difficile de l’après-guerre qu’est née la psychothérapie institutionnelle, portée par des psychiatres comme François Tosquelles ou Jean Oury.

Cette approche pose des questions essentielles qui résonnent encore aujourd’hui : comment soigner l’institution elle-même pour qu’elle puisse être soignante? Comment prendre soin des soignants pour qu’ils puissent prendre soin des autres?

S’inspirer de l’héritage de la psychothérapie institutionnelle

La psychothérapie institutionnelle, loin d’être une relique du passé, reste une source d’inspiration puissante pour repenser les espaces de soin aujourd’hui. Elle nous rappelle que le soin ne se limite pas à une technique ou à un protocole, mais qu’il s’incarne dans une dynamique collective, relationnelle, profondément humaine.

Ce courant a mis en lumière l’importance de la parole, du temps, du collectif, et surtout du soin apporté aux soignants eux-mêmes. Car un soignant épuisé, isolé ou déshumanisé ne peut accompagner l’autre de manière éthique et ajustée.

Revaloriser cette pensée, c’est remettre en circulation des idées fortes :

      👉 Que le soin se pense dans les liens, pas dans la seule tête du thérapeute, et encore moins dans les seuls ministères ;

      👉 Que chaque membre de l’équipe, du médecin au personnel d’entretien, participe à la qualité du climat institutionnel ;

      👉 Que les patients ne sont pas de simples usagers, mais des sujets à part entière, porteurs d’une histoire, d’un savoir, d’une parole qui compte.

À l’heure où le soin est sommé d’être rentable, mesurable, optimisé, cet héritage rappelle que la véritable efficacité ne se décrète pas par indicateurs, mais se construit dans des relations vivantes, dans des espaces où la subjectivité peut exister. C’est peut-être là que réside notre plus grand levier de transformation : dans la capacité à recréer des lieux où l’on soigne ensemble, où l’on pense ensemble, où l’on peut réellement accompagner l’autre.

Vers une éthique renouvelée du soin et de l'accompagnement

Le burnout des soignants nous interroge collectivement sur notre rapport au soin, à la vulnérabilité et au lien social. Il ne s’agit pas simplement d’une crise sectorielle, mais bien d’un enjeu de société qui nous concerne tous.

La crise actuelle nous invite à repenser fondamentalement la place des métiers de l’humain dans notre organisation sociale.

Comment revaloriser ces professions, non pas seulement en termes de rémunération, mais en termes de reconnaissance de leur valeur intrinsèque?

Comment créer les conditions pour que ces métiers puissent s’exercer dans le respect de leur éthique propre?

Ces questions nous ramènent à une interrogation plus profonde sur le type de société que nous voulons construire. Une société qui fait place à la vulnérabilité, qui reconnaît l’interdépendance comme constitutive de notre humanité, qui valorise le soin comme une dimension essentielle du vivre-ensemble.

C’est peut-être là l’enseignement le plus précieux de cette crise : le soin ne peut exister durablement que si le tissu social qui l’entoure reste vivant, solidaire, et capable de le soutenir. Car sans réel soutien politique, les structures de soin finiront par s’effondrer.

📚 Sources : 

Métiers de l’humain : crise de sens ?, Jean-Bernard Paturet, Vie sociale et traitements 2023/4 (N°160) p20 à 26

L’ère du vide, Gilles Lipovetsky

Carol Gilligan sur l’éthique du care

La psychothérapie institutionnelle : De Saint-Alban à La Borde, Jean Oury

Roland Gori pour approfondir sur la « standardisation » du soin

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